Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 11, 1904.djvu/173

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
LE RÉGIME MODERNE


lagiens et les donatistes, fondèrent la théorie de l’obligation humaine[1]. L’obligation, disaient les juristes romains, est « un lien du droit » par lequel nous sommes astreints à faire ou à subir quelque chose pour nous libérer d’une dette, et, de cette conception juridique qui est le chef-d’œuvre de la jurisprudence romaine, sortit, comme d’un bourgeon vivace, le nouveau développement du dogme. — D’une part, nous sommes obligés envers Dieu ; car, à son égard, en termes de droit, nous sommes des débiteurs insolvables, héritiers d’une dette infinie, incapables de nous acquitter et de donner satisfaction à notre créancier, sauf par l’interposition volontaire d’un tiers[2] surhumain qui prend notre charge à sa charge ; plus précisément encore, nous sommes des délinquants, coupables de naissance et par transmission de sang, condamnés en masse, puis

  1. Sir Henry Sumner Maine, Ancient Law. « La nature du péché et sa transmission par héritage, la dette contractée par l’homme et le payement de cette dette par un tiers interposé, la nécessité et l’efficacité d’une satisfaction suffisante, par-dessus tout l’antagonisme apparent du libre arbitre et de la providence divine, tels furent les points que l’Occident commença à débattre avec autant d’ardeur que l’Orient en avait mis autrefois à discuter les articles de sa croyance plus spéciale. » — Cette façon juridique de concevoir la théologie apparaît dans les ouvrages des plus anciens théologiens latins, Tertullien et saint Cyprien.
  2. Id., ibid. Parmi les notions techniques empruntées au droit et employées ici par la théologie latine, on peut citer « le système pénal romain, la théorie romaine des obligations instituées par contrat ou par délit », l’intercession ou acte de prendre à son compte l’obligation contractée par un autre, « la conception romaine des dettes et de la façon de les encourir, de les éteindre et de les transmettre, la façon romaine de concevoir la continuation de l’existence individuelle par la succession universelle. »