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LE RÉGIME MODERNE


« pour subsister », tous heureux d’être ensemble, de s’aimer et de se sentir purifiés ou purs.

Manifestement, voilà dans l’âme un nouveau moteur et régulateur, un puissant organe de surcroît, approprié, efficace, acquis par métamorphose et refonte interne, pareil aux ailes dont un insecte est pourvu par sa mue. En tout organisme vivant, le besoin, par tâtonnements et sélections, produit ainsi l’organe possible et requis. Dans l’Inde, cinq cents ans avant notre ère, ce fut le bouddhisme ; dans l’Arabie, six cents après notre ère, ce fut le mahométisme ; dans nos sociétés occidentales, c’est le christianisme. Aujourd’hui, après dix-huit siècles, sur les deux continents, depuis l’Oural jusqu’aux Montagnes Rocheuses, dans les moujiks russes et les settlers américains, il opère comme autrefois dans les artisans de la Galilée, et de la même façon, de façon à substituer à l’amour de soi l’amour des autres ; ni sa substance ni son emploi n’ont changé ; sous son enveloppe grecque, catholique ou protestante, il est encore, pour 400 millions de créatures humaines, l’organe spirituel, la grande paire d’ailes indispensables pour soulever l’homme au-dessus de lui-même, au-dessus de sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire, à travers la patience, la résignation et l’espérance, jusqu’à la sérénité, pour l’emporter par delà la tempérance, la pureté et la bonté, jusqu’au dévouement et au sacrifice. Toujours et partout, depuis dix-huit cents ans, sitôt que ces ailes défaillent ou qu’on les casse, les mœurs publiques et privées se dégradent. En