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LE RÉGIME MODERNE


l’amour des autres, c’est l’amour des autres qui l’emporte sur l’amour de soi. — Regardons un de leurs instituts au moment où il se forme, et nous verrons comment la prépondérance passe de l’instinct égoïste à l’instinct social. Toujours, aux origines de l’œuvre, on rencontre d’abord la compassion ; à l’aspect de la misère, de l’abrutissement, de l’inconduite, quelques bons cœurs se sont émus ; des âmes ou des corps étaient en détresse, il y avait un naufrage en vue ; trois ou quatre sauveteurs se sont présentés. Ici, à Rouen, en 1818, c’est une pauvre fille qui, sur le conseil de son curé, réunit quelques amies dans son grenier ; le jour elles y font une classe, et la nuit elles travaillent pour gagner leur pain ; aujourd’hui, sous le nom de sœurs du Sacré-Cœur de Jésus, elles sont 800. Ailleurs, à Laval, la fondatrice du Refuge pour les repenties infirmes est une simple repasseuse qui a commencé sa maison en recueillant par charité deux filles ; celles-ci en ont amené d’autres, et il y a maintenant une centaine d’instituts semblables. Le plus souvent, le fondateur est le desservant ou vicaire de l’endroit, qui, touché par une misère locale, croit d’abord ne faire qu’une œuvre locale ; ainsi naissent en 1806, à Rouissé-sur-Loire, la congrégation de la Providence, qui a maintenant 918 sœurs en 193 maisons ; en 1817, à Lovallat, l’association des Petits-Frères de Marie, qui compte aujourd’hui 3600 frères ; en 1840, à Saint-Servan, l’institut des Petites-Sœurs des Pauvres, qui sont aujourd’hui 2685, et, sans aucun secours que celui de l’aumône, nourrissent et soignent,