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L’ÉGLISE


interruption. Parfois des vœux simples précèdent les vœux solennels ; chez les jésuites, plusieurs noviciats, chacun de deux ou trois ans, se succèdent et se superposent ; ailleurs l’engagement perpétuel n’est reçu qu’après plusieurs engagements temporaires ; jusqu’à vingt-cinq ans, les frères des Écoles chrétiennes font leurs vœux pour un an ; à vingt-huit ans seulement, c’est pour toute la vie. Certainement, après de telles épreuves, l’information du postulant est complète ; néanmoins on y ajoute celle de ses supérieurs. Ils l’ont suivi jour par jour ; par delà sa volonté superficielle, actuelle et déclarée, ils démêlent sa volonté profonde, latente et future ; s’ils la jugent insuffisante ou douteuse, ils ajournent ou empêchent la profession finale : « Mon enfant, attendez, votre vocation n’est pas encore définitive » ; ou bien : « Mon ami, vous n’étiez pas fait pour le couvent, rentrez dans le monde ». — Jamais contrat social n’a été souscrit à meilleur escient, par un choix plus réfléchi, après une délibération si attentive : les conditions que la théorie révolutionnaire exigeait de l’association humaine sont toutes remplies, et le songe des jacobins se réalise. Mais ce n’est pas sur le terrain qu’ils lui assignaient : par un contraste étrange et qui semble une ironie de l’histoire, ce rêve de la raison spéculative n’a produit dans l’ordre laïque que des plans tracés sur le papier, une Déclaration des droits décevante et dangereuse, des appels à l’insurrection ou à la dictature : des organismes incohérents ou mort-nés, bref des avortons ou des monstres ; dans l’ordre religieux, il ajoute au monde vivant des