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L’ÉGLISE


titre de l’Église infaillible, lui-même croyant et pratiquant, il parle avec une hauteur et une raideur extraordinaires[1] ; à ses propres yeux, il est le dépositaire unique de la vérité et de la morale ; aux yeux de ses fidèles, il devient un personnage surhumain, un prophète foudroyant ou sauveur, l’annonciateur des jugements divins, le dispensateur de la colère et de la grâce célestes ; il monte aux nues dans une gloire d’apothéose ; chez les femmes surtout, la vénération s’exalte jusqu’à l’enthousiasme et dégénère en adoration. Vers la fin du second Empire, sur le bateau du lac Léman, un célèbre évêque français, ayant tiré de sa poche un petit pain, le mangeait assis devant deux dames debout, et leur en donnait des morceaux. L’une d’elles lui dit, avec une révérence : « De votre main, monseigneur, c’est presque le saint sacrement[2] ».

IV

Sous cette main souveraine et sacrée opère un clergé soumis d’esprit et de cœur, préparé de longue main à la foi et à l’obéissance par sa condition et par son éducation. Parmi les 40 000 curés et desservants, « plus de

  1. Cf., dans les biographies citées plus haut, les discours publics et politiques des principaux prélats, notamment de Mgr Mathieu (de Besançon), de Mgr Dupanloup (d’Orléans), de Mgr de Bonnechose (de Rouen) et surtout de Mgr Pie (de Poitiers).
  2. Je tiens le fait d’une dame, témoin oculaire ; probablement, au XVIIe siècle, Fénelon et Bossuet auraient jugé ce mot énorme et même sacrilège.