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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


possesseurs légitimes et reconnus de leurs sièges, tous convives du roi, tous autorisés par la loi, la tradition et l’usage à ne pas payer leur dîner ou à le payer moins qu’il ne coûte, à ne pas se contenter des mets qu’on leur passe, à étendre leurs mains devant eux jusqu’aux plats qui sont à leur portée, à se servir eux-mêmes et à emporter la desserte dans leurs poches. À la nouvelle table, point de places occupées d’avance ; c’est Napoléon qui la dresse, et, quand il s’y assied, il y est seul, maître d’y appeler qui bon lui semble, maître d’y assigner à chacun sa part, maître de régler le service au mieux de son intérêt et de l’intérêt commun, maître d’introduire dans tout le service l’ordre, la surveillance et l’économie. Au lieu d’un grand seigneur prodigue et négligent, voici enfin, pour commander les fournitures, pour distribuer les portions et pour restreindre la consommation, un administrateur moderne, un entrepreneur qui se sent responsable, un homme d’affaires qui sait compter. Désormais chacun payera son écot, mesuré d’après sa ration, et chacun aura sa ration, mesurée d’après son écot. — Qu’on en juge par un seul exemple : Dans sa propre maison, au centre ordinaire des abus et des sinécures, plus de parasites. Depuis les palefreniers et les marmitons jusqu’aux grands officiers du palais, jusqu’aux chambellans et dames d’honneur, tous ses domestiques, titrés ou non titrés, travaillent et font en personne leur pleine corvée manuelle, administrative ou décorative, de jour et de nuit, à l’heure dite, au plus juste prix, sans grappiller ni gaspiller. Son train et