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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


l’entretien de cette cour[1]. — Enfin, à Paris comme à Versailles, les subordonnés qui étaient là au bon endroit, tout près du râtelier central, tiraient à eux de toutes leurs forces et mangeaient beaucoup au delà de leur portion congrue. Sous l’ancien régime, « dans chaque voyage aux maisons de campagne du roi, les dames d’atour, sur leurs frais de déplacement, gagnaient 80 pour 100 », et une première femme de chambre de la reine, en sus de ses appointements, se faisait 38 000 francs par an sur la revente des bougies[2]. Sous le régime nouveau, dans la distribution des vivres, « les matadors de quartier », les patriotes des comités révolutionnaires prélevaient leur part d’avance, et une part très ample, au préjudice des affamés de la queue, tel sept rations pour sa bouche, et tel autre vingt[3]. — Ainsi l’iniquité subsistait ; en la renversant, on n’avait fait que l’aggraver, et, si l’on voulait bâtir à demeure, il fallait y mettre un terme ; car, en tout édifice social, elle introduit un porte à faux ; que le porte à faux soit à gauche ou à droite, peu importe : tôt ou tard, la bâtisse s’effondre. C’est de cette façon que l’édifice français avait déjà croulé deux fois, la première fois en 1789, par la banqueroute imminente et par le dégoût de l’ancien régime ; la deuxième fois, en 1799, par la

  1. L’Ancien Régime, tome I, 152, et la Révolution, tome VIII, 304. (Environ 1200 millions par an pour le pain de Paris, au lieu de 45 millions pour la maison civile et militaire du roi à Versailles.)
  2. L’Ancien Régime, tome I, 105. — Mme Campan, Mémoires, I, 291, 292.
  3. La Révolution, tome V, 184, 185 (note), et tome VIII, 263.