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LE RÉGIME MODERNE

I

L’autre groupe, bien antérieur à 1789, comprend les besoins qui survivent à la Révolution, parce que la Révolution ne les a pas satisfaits, et d’abord le plus vivace, le plus profond, le plus invétéré, le plus frustré de tous, je veux dire le besoin de justice distributive. — Dans la société politique, comme en toute autre société, il y a des charges et des bénéfices à répartir ; quand la répartition est équitable, elle se fait d’après une règle évidente d’elle-même et très simple : il faut que, pour chacun, les charges soient proportionnées aux bénéfices, et les bénéfices aux charges, en sorte que, pour chacun, la dépense finale et la recette finale soient exactement compensées l’une par l’autre, et que la quote-part, plus ou moins grande ou petite dans les frais, soit toujours égale à la quote-part, plus ou moins grande ou petite dans le profit. Or, en France, depuis plusieurs siècles, cette proportion manquait ; même, elle avait fait place à la proportion inverse. Vers le milieu du XVIIIe siècle, si, dans le budget matériel et moral, on avait fait deux totaux, l’un pour le passif, l’autre pour l’actif, d’un côté la somme des apports exigés par l’État, taxes en argent, corvées en nature, service militaire, subordination civile, obéissances et assujettissements de toute sorte, bref tous les sacrifices de loisir, de bien-être ou d’amour-propre, de l’autre côté la somme des dividendes dis-