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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


le peut pas davantage ; lui-même il s’est ruiné, il vient de faire banqueroute, il vit d’expédients et au jour le jour, il n’a ni fonds ni crédit. Reprendre les biens vendus, personne n’y songe ; rien de plus contraire à l’esprit du nouveau régime : non seulement ce serait là un vol semblable à l’autre, puisque les acquéreurs ont payé et que leur quittance est en règle, mais encore, à contester leur titre, le gouvernement infirmerait le sien ; car son autorité a la même source que leur propriété. Il est en place, comme ils sont en possession, en vertu du même fait accompli, parce que les choses sont ainsi et ne peuvent plus être autrement, parce que dix années de révolution et huit années de guerre pèsent sur le présent d’un poids trop lourd, parce qu’il y a trop d’intérêts et des intérêts trop forts engagés et enrôlés du même côté, parce que l’intérêt des 1 200 000 acquéreurs fait corps avec celui des 30 000 officiers que la Révolution a pourvus d’un grade, avec celui de tous les nouveaux fonctionnaires et dignitaires, avec celui du Premier Consul lui-même qui, dans cette transposition universelle des fortunes et des rangs, est le plus grand des parvenus et doit soutenir les autres s’il veut être soutenu par eux. Naturellement, il les protège tous, par calcul et par sympathie, dans l’ordre civil comme dans l’ordre militaire, en particulier les propriétaires nouveaux, surtout les moyens et les petits, ses meilleurs clients, attachés à son règne et à sa personne par l’amour de la propriété, qui est la plus forte passion de l’homme ordi-