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LE RÉGIME MODERNE


moins libres. La compétence des assemblées locales s’est étendue et comprend, non seulement des cas nouveaux, mais encore des espèces nouvelles, et le nombre de leurs décisions exécutoires a quintuplé. Au lieu d’une session par an, le conseil municipal en a quatre et de durée plus longue. Au lieu d’une session par an, le conseil général en a deux et se perpétue en ses absences par sa délégation intérimaire qui s’assemble tous les mois. Avec ces autorités agrandies et plus souvent présentes, le préfet doit compter, et, ce qui est plus grave, il doit compter avec l’opinion locale. Il ne peut plus administrer à huis clos ; dans la moindre commune, les délibérations du conseil municipal sont affichées ; à la ville, elles sont publiées et commentées par les journaux de l’endroit ; le conseil général donne au public le compte rendu des siennes. — Ainsi, derrière les pouvoirs élus et pour peser avec eux dans le même plateau de la balance, voici, en face du préfet, un nouveau pouvoir, l’opinion, telle qu’elle peut se produire dans un pays nivelé par la centralisation égalitaire, dans une foule ondoyante ou stagnante d’individus désagrégés, auxquels manque tout centre de ralliement spontané et qui, faute de conducteurs naturels, ne savent que se pousser, s’entrechoquer ou rester immobiles, chacun selon ses impressions personnelles, aveuglément et au hasard ; c’est l’opinion inconsidérée, imprévoyante, inconséquente, superficielle, acquise à la volée, fondée sur des bruits vagues, sur quatre ou cinq minutes d’attention par semaine et principalement sur de grands