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LE RÉGIME MODERNE


patrimoine immémorial, dépecé en lots égaux, partagé par familles ou par têtes, s’est converti en petites propriétés privées. Sur un décret de la Convention, toute la fortune communale, actif et passif, a été englobée dans la fortune publique, pour s’anéantir avec elle par la vente des biens fonciers, par le discrédit des assignats et par la banqueroute finale. Après cet engloutissement prolongé, la propriété communale, même dégorgée et restituée par le fisc, n’est plus telle qu’auparavant ; une fois sorti de l’estomac du monstre, son reliquat, démembré, gâté, demi-digéré, n’a plus semblé inviolable et sacré ; une liquidation est intervenue ; « il y a beaucoup de communes, dit Napoléon[1], dont les dettes ont été payées et dont les biens n’ont pas été vendus ; il en est beaucoup d’autres dont les biens ont été vendus et dont les dettes n’ont pas été payées… Il en résulte que les propriétés de certaines communes ne sont pas très respectables. » En conséquence, il leur prend à toutes, d’abord un dixième de leur revenu foncier, puis le quart du produit de toutes leurs coupes de bois extraordinaires[2], enfin leur capital, tous leurs biens fonciers[3], estimés 370 millions ; en échange, il

  1. Pelet de la Lozère, Opinions de Napoléon au Conseil d’État, 277 (séance du 15 mars 1806). — Décrets du 16 mars 1806 et du 15 septembre 1807.
  2. Ib., 176 : « À ceux qui objectaient qu’un impôt ne peut être établi que par une loi, Napoléon répondait que ce n’était pas un impôt, puisqu’il n’y a d’impôts que ceux établis par la loi, et que ceci (le prélèvement du quart des coupes extraordinaires) serait établi par décret. Il faut être le maître, et le maître absolu, pour employer une telle argumentation. »
  3. Loi du 20 mars 1813. (Sont exceptés les bois, les pâturages