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LE RÉGIME MODERNE


tous des notables de l’endroit, les principaux propriétaires, les plus gros industriels et négociants ; par système, il enrôle dans ses cadres les distributeurs du travail, tous ceux qui, par leur fortune et leur résidence, par leurs entreprises et leur dépense sur place, ont une influence ou une autorité sur place. Afin de n’en omettre aucun et de pouvoir introduire dans les conseils généraux tel vétéran de l’ancien régime, qui est riche, ou tel parvenu du régime nouveau, qui n’est pas riche, il s’est réservé d’ajouter à la liste des éligibles vingt membres, « dont dix pris parmi les citoyens appartenant à la Légion d’honneur ou ayant rendu des services, et dix pris parmi les trente plus imposés du département ». De cette façon, aucun des notables ne lui échappe ; il les recrute à sa guise et, selon ses besoins, tantôt parmi les hommes de la Révolution qu’il ne veut pas laisser tomber dans le discrédit et l’isolement[1], tantôt parmi les hommes de la vieille monarchie qu’il veut rallier de gré ou de force. Tel le baron de Vitrolles[2] qui, sans l’avoir

  1. Thibaudeau, 294 (Paroles du Premier Consul au Conseil d’État, 16 thermidor an X) : « Que sont devenus les hommes de la Révolution ? Une fois sortis de place, ils ont été entièrement oubliés ; il ne leur est rien resté ; ils n’ont aucun appui, aucun refuge naturel. Voyez Barras, Reubell, etc., etc. » — Cet asile qui leur manque leur sera fourni par les collèges électoraux. — « C’est aujourd’hui qu’on y nommera le plus d’hommes de la Révolution ; plus on attendra, moins on en aura… À l’exception de quelques hommes qui ont été sur un grand théâtre,… qui ont signé un traité de paix,… tout le reste est dans l’isolement et l’obscurité. Voilà une lacune importante à remplir ; … c’est pour cela que j’ai fait la Légion d’honneur. »
  2. Baron de Vitrolles, Mémoires, préface, XXI. — Comte de Villèle, Mémoires et correspondance, I, 189 (août 1807).