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LE RÉGIME MODERNE


la remplir, et l’on a vu avec quel dommage pour les particuliers, pour les communes, pour lui-même, avec quel lamentable cortège de conséquences désastreuses : anarchie universelle, persistante, incurable, impuissance du gouvernement, violation des lois, anéantissement des recettes, vide du Trésor, arbitraire des forts, oppression des faibles, émeutes dans la rue, brigandage dans les campagnes, dilapidations et concussions aux hôtels de ville, usurpations ou abdications municipales, ruine de la voie publique et de toutes les œuvres et bâtisses d’utilité publique[1], ruine et détresse des communes. — Par contraste et par dégoût, c’est de l’autre côté, jusqu’à l’autre extrême, que le nouveau régime se rejette, et, de démissionnaire qu’il était, l’État central, en 1800, devient intrus. Non seulement il reprend aux sociétés locales la portion du domaine public qu’il leur avait imprudemment concédée, mais encore il met la main sur leur domaine privé, il se les rattache en qualité d’appendices, et son usurpation systématique, uniforme, consommée d’un seul coup, étendue sur tout le territoire, les replonge toutes, communes et départements, jusque dans un néant où, sous l’ancienne monarchie, elles n’étaient jamais descendues.

Avant 1789, il y avait encore des personnes collectives, provinciales et communales. D’une part, cinq ou six grands corps locaux, représentés par des assemblées élues, bien vivants et spontanément actifs, entre autres

  1. Rocquain, l’État de la France au 18 Brumaire, passim, et le Régime moderne, tome IX, livre II, ch. I.