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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


« ennemis, ni méchants ; seulement, le lieutenant voulait monter en grade. » — Et le pénétrant observateur ajoute : « Tel était le furieux égoïsme qu’on appelait alors l’amour de la gloire et que, sous ce nom, l’Empereur avait communiqué aux Français ».

Sur cette pente, on glisse vite et bas ; chacun songe à soi d’abord ; l’individu se fait centre. Aussi bien, l’exemple est donné d’en haut. Est-ce pour la France ou pour lui-même que Napoléon travaille[1] ? Tant d’entreprises démesurées, la conquête de l’Espagne, l’expédition de Russie, l’installation de ses frères et parents sur des trônes nouveaux, le dépècement et le remaniement continu de l’Europe, toutes ces guerres incessantes et de plus en plus lointaines, est-ce pour le bien public et le salut commun qu’il les accumule ? Lui aussi, que veut-il, sinon pousser toujours plus avant sa fortune ? — « Il est trop ambitionnaire », disent ses soldats eux-mêmes[2] ; pourtant ils le suivent jusqu’au bout. « Nous avons toujours marché avec lui, répondaient[3] les vieux grenadiers qui traversaient la Pologne pour s’enfoncer dans la Russie ; nous ne pouvions pas l’abandonner cette fois-ci, le laisser aller seul. » — Mais d’autres, qui le voient de plus près, les premiers après

  1. Paroles du maréchal Marmont : « Tant qu’il a dit : Tout pour la France, je l’ai servi avec enthousiasme, Quand il a dit : La France et moi, je l’ai servi avec zèle. Quand il a dit : Moi et la France, je l’ai servi avec dévouement. Il n’y a que quand il a dit : Moi sans la France, que je me suis détaché de lui. »
  2. Mot recueilli par Joseph de Maistre.
  3. Mot entendu par Mickiewicz enfant.