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LE RÉGIME MODERNE

VI

Une force nouvelle, extraordinaire, vient de s’introduire dans l’histoire : c’est une force spirituelle, analogue à celle qui jadis a soulevé les âmes, en Espagne au XVIe siècle, en Europe au temps des croisades, en Arabie sous Mahomet. Elle surexcite les facultés, elle décuple les énergies, elle transporte l’homme au delà ou à côté de lui-même, elle fait des enthousiastes et des héros, des aveugles et des fous, par suite des conquérants, des dominateurs irrésistibles ; elle marque son empreinte et grave son mémorial en caractères ineffaçables, sur les hommes et sur les choses, de Cadix à Moscou. Toutes les barrières naturelles sont renversées, toutes les limites ordinaires sont dépassées. « Les soldats français, écrit un officier prussien après Iéna[1], sont petits, chétifs ; un seul de nos Allemands en battait quatre. Mais ils deviennent au feu des êtres surnaturels : ils sont emportés par une ardeur inexprimable, dont on ne voit aucune trace chez nos soldats… Que voulez-vous faire avec des paysans menés au feu par des nobles, dont ils partagent tous les dangers, sans partager ni leurs passions ni leurs récompenses ? » — À côté du besoin physique qui réclame pour le corps un peu de bien-être ou du moins le pain quotidien, et qui, s’il est trop frustré, produit les jacqueries passagères, il est un

  1. Thiers, VII, 210.