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LE RÉGIME MODERNE


savoir l’orthographe, n’être pas incapable d’écrire le français, d’instruire une affaire, de rédiger un rapport, de tenir une comptabilité, au besoin de comprendre un plan, de faire un devis, de lire une carte. Au commencement du Consulat, les hommes de cette espèce sont rares ; en leur qualité de notables[1], la Révolution les a fauchés de préférence. De tous leurs fils et de tant de jeunes gens bien élevés qui se sont faits soldats par patriotisme, ou qui sont partis pour empêcher leur famille d’être suspecte, la moitié est restée sur le champ de bataille ou n’est sortie de l’hôpital que pour aller dans le cimetière ; « le muscadin[2] crevait dès la première campagne ». En tout cas, pour eux et pour leurs frères plus jeunes, pour les enfants qui commençaient le latin ou les mathématiques, pour tous les aspirants aux professions libérales, pour toute la génération qui allait recevoir l’instruction supérieure, secondaire ou même primaire et fournir au labeur intellectuel des cerveaux bien préparés, l’éducation a manqué pendant dix ans. Non seulement les fondations qui défrayaient l’enseignement ont été confisquées, mais le personnel enseignant, qui était presque tout ecclésiastique, a été l’un des plus proscrits entre les proscrits. Pendant que

  1. La Révolution, tome VIII, 188. — Déjà en 1795 le besoin des hommes compétents et spéciaux était si grand, que le gouvernement cherchait, même parmi les royalistes, des chefs de service pour les finances et la diplomatie ; il faisait des offres à M. Dufresne et à M. de Rayneval. — Ib., 406. — (Cf. les Mémoires de Gaudin, Miot de Melito et Mollien.)
  2. Paroles de Bouquier, rapporteur de la loi sur l’éducation. (Séance de la Convention, 22 frimaire an II.)