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LE RÉGIME MODERNE


« perspective d’ambition ; le soldat n’a songé qu’à déplacer l’officier, l’officier qu’à devenir général, le commis qu’à supplanter l’administrateur en chef, l’avocat d’hier qu’à se vêtir de la pourpre, le curé qu’à devenir évêque, le lettré qu’à s’asseoir sur le banc des législateurs. Les places, les états, vacants par la nomination de tant de parvenus, ont offert à leur tour une vaste carrière aux classes inférieures. Voyant sortir du néant un fonctionnaire public, quel est le décrotteur dont l’âme n’ait pas été remuée d’émulation ? » — Il faut tenir compte de ce sentiment nouveau : car, raisonnable ou non, il va durer, agir à demeure, pousser les hommes avec une force extraordinaire[1], devenir l’un des grands ressorts de leur volonté et de leur action. Dorénavant, le gouvernement et l’administration seront des besognes difficiles ; les formes et les dispositions de la vieille architecture sociale ne sont plus de mise ; on ne peut pas construire de même avec des matériaux d’espèce différente, avec des matériaux stables et avec des matériaux instables, avec des hommes qui ne songent point à sortir de leur condition et avec des hommes qui ne songent qu’à en sortir.

En effet, quelle que soit la place vacante, chacun des aspirants s’en croit digne, et un seul des aspirants peut

  1. Rœderer, III, 534 (janvier 1809, sur la Normandie) : « Les enfants de tout état, pensent à se faire soldats pour avoir la croix, et la croix fait chevalier. Le désir de se distinguer, de passer avant un autre, est un sentiment national. »