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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


« des avocats aux magistrats, des bourgeois aux ministres d’État, des ci-devant roturiers aux ci-devant nobles, des soldats à des officiers, des officiers à des généraux, des curés à des évêques, des vicaires à des curés, des moines à des vicaires, des agioteurs à des financiers, des empiriques à des administrateurs, des journalistes à des publicistes, des rhéteurs à des législateurs, et des pauvres à des riches » ; escalade accélérée de tout l’escalier social par quelques-uns, en quelques sauts, depuis le plus bas degré jusqu’au plus haut, depuis le grade de sergent jusqu’à celui de général en chef, depuis la condition d’avocat infime ou de gazetier famélique jusqu’à la possession de l’autorité suprême, jusqu’à l’exercice effectif de l’omnipotence et de la dictature : voilà l’œuvre capitale, positive, éclatante de la Révolution.

En même temps et par contre-coup, une révolution s’opère dans les esprits, et l’effet moral du spectacle est plus grand, plus permanent, que le spectacle lui-même. Les âmes ont été ébranlées jusqu’au fond ; les passions engourdies, toutes les prétentions qui sommeillaient se sont éveillées. La profusion des places offertes et des vacances attendues « a irrité la soif du commandement, tendu l’amour-propre et enflammé l’espérance chez les hommes les plus ineptes. Une farouche et grossière présomption a délivré le sot et l’ignorant du sentiment de leur nullité ; ils se sont crus capables de tout, parce que la loi accordait les fonctions publiques à la seule capacité. Chacun a pu entrevoir une