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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


l’escalier, chaque étage distinct imposait à ses habitants une sorte de costume distinct, plus ou moins coûteux, brodé et doré, je veux dire un ensemble d’habitudes et d’attaches, extérieures et intérieures, toutes obligatoires et indispensables, y compris le titre, la particule et le nom : annoncé dans l’antichambre par le laquais ou l’huissier, tel nom bourgeois eût été une dissonance ; en conséquence, on se faisait anoblir, argent comptant, ou l’on se donnait gratis un nom noble. Caron, fils d’un horloger, devenait M. de Beaumarchais ; Nicolas, enfant trouvé, s’appelait M. de Chamfort ; Danton, en écriture publique, signait d’Anton ; de même, un homme qui n’a pas d’habit habillé en loue ou en emprunte un, n’importe comment, quand il va dîner en ville ; cela était toléré, accepté comme une marque de savoir-vivre et une conformité finale, comme un témoignage de respect pour les usages de la bonne compagnie.

Par cette séparation visible des étages, les hommes avaient pris l’habitude de rester dans leur condition ; ils ne s’indignaient pas d’y être confinés. Le soldat qui s’engageait n’aspirait point à devenir officier ; le jeune officier de petite noblesse et de mince fortune n’aspirait point à devenir colonel ou lieutenant général. La perspective restreinte empêchait l’imagination et l’espérance de se lancer éperdument dans l’avenir indéfini : l’ambition, tout de suite rabattue en terre, marchait au lieu de voler ; elle sentait dès l’abord que les sommets étaient hors de sa portée ; il lui suffisait de monter lentement un ou deux degrés. — À l’ordinaire, chacun,