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LE RÉGIME MODERNE


suffrage restreint est utile à la communauté et si le suffrage universel est nuisible à la communauté. Tant pis, si je ne suis souverain que de nom et en imagination ; je consens à ce que ma souveraineté soit illusoire, mais j’entends que celle des autres le soit aussi ; j’aime mieux la servitude et la privation pour tous que des libertés et des avantages pour quelques-uns, et, pourvu que le niveau passe sur toutes les têtes, j’accepte un joug pour toutes les têtes, y compris la mienne. »

Telle est la composition interne de l’instinct égalitaire, et tel est l’instinct naturel des Français : il est bienfaisant ou malfaisant, selon que l’un ou l’autre de ses ingrédients y prédomine, tantôt le noble sentiment de l’équité, tantôt la basse envie de la vanité sotte[1] ; mais, sain ou malsain, sa force en France est énorme, et le régime nouveau lui donne toutes les satisfactions, les bonnes comme les mauvaises. — Plus d’incapacités légales. D’une part, toutes les lois républicaines de proscription ou d’exception sont abrogées : on a vu l’amnistie et la rentrée des émigrés, le concordat, la restauration du culte catholique, la réconciliation imposée aux

  1. Beugnot, Mémoires, I, 317 : « Cette égalité, qui est aujourd’hui notre passion dominante, n’est pas le sentiment noble et bienveillant qui fait qu’on aime à s’honorer dans son semblable et qu’on se trouve à l’aise à tous les degrés de l’ordre social ; non, c’est l’aversion pour toute supériorité, c’est la crainte que la place qu’on occupe cesse d’être la première : cette égalité ne tend en aucune façon à relever jusqu’à elle ce qui se trouve confiné en bas, mais à empêcher que rien ne s’élève plus haut. »