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LE RÉGIME MODERNE


les gros mots et le commandement rude du caporal, la gamelle et le pain de munition, le travail corporel de toute la journée et de toutes les journées, sont pour le premier, mais non pour le second, des nouveautés et, par suite, des souffrances ; d’où il suit que, si on applique l’égalité littérale, on institue l’inégalité positive, et qu’en vertu même des nouveaux dogmes, au nom de l’égalité véritable, comme au nom de la liberté véritable, il faut permettre au premier, qui souffrirait davantage, de traiter à l’amiable avec le second, qui souffrira moins. — D’autant plus que, par cet arrangement, l’état-major civil sauve ses recrues futures ; c’est de dix-neuf à vingt-six ans que les futurs chefs et sous-chefs du grand travail pacifique et fructueux, savants, artistes ou lettrés, jurisconsultes, ingénieurs ou médecins, entrepreneurs du commerce ou de l’industrie, reçoivent et se donnent l’éducation supérieure et spéciale, inventent ou acquièrent leurs idées maîtresses, élaborent leur originalité ou leur compétence ; si l’on retire aux talents ces années fécondes, on arrête leur végétation en pleine sève, et l’on fait avorter les capacités civiles, non moins précieuses pour l’État que les capacités militaires[1]. — Vers

  1. Thibaudeau, 108 (Paroles du Premier Consul au Conseil d’État) : « Il faut songer aux arts, aux sciences, aux métiers. Nous ne sommes pas des Spartiates… Quant au remplacement, il faut l’admettre. Chez une nation où les fortunes seraient égales, il faudrait que chacun servit de sa personne ; mais, chez un peuple dont l’existence repose sur l’inégalité des fortunes, il faut laisser aux riches la faculté de se faire remplacer ; on doit seulement avoir soin que les remplaçants soient bons, et tirer