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L’ANCIEN RÉGIME


ment du décor, par le choix de la compagnie, par l’intérêt du spectacle. Il n’y a que Versailles pour se montrer, faire figure, se pousser, pour s’amuser, converser ou causer, au centre des nouvelles, de l’action et des affaires, avec l’élite du royaume et les arbitres du ton, de l’élégance et du goût. « Sire, disait M. de Vardes à Louis XIV, quand on est loin de Votre Majesté, non seulement on est malheureux, mais encore on est ridicule. » Il ne reste en province que la noblesse pauvre et rustique ; pour y vivre, il faut être arriéré, dégoûté ou exilé. Quand le roi renvoie un seigneur dans ses terres, c’est la pire disgrâce ; à l’humiliation de la déchéance s’ajoute le poids insupportable de l’ennui. Le plus beau château dans un site agréable est un affreux désert » ; on n’y peut voir personne, sauf des grotesques de petite ville ou des rustres de village[1]. « L’exil seul, dit Arthur Young, force la noblesse de France à faire ce que les Anglais font par préférence : résider sur leurs domaines pour les embellir. » Dix fois Saint-Simon et les autres historiens de la cour disent en parlant d’une cérémonie : « Toute la France était là » ; en effet, tout ce qui compte en France est là, et ils se reconnaissent à cette marque. Paris et la cour deviennent donc le séjour obligé de tout le beau monde. Dans une telle situation, les départs entraînent les départs ; plus la province est délaissée, plus on la

  1. Molière, Misanthrope ; c’est là le « désert » où Célimène refuse de s’ensevelir avec Alceste. Voyez aussi dans le Tartufe la peinture que Dorine fait d’une petite ville. — Arthur Young, Voyages en France, I, 78.