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L’ANCIEN RÉGIME


commis, des gens « de plume et de robe », des roturiers sans consistance font la besogne ; nul moyen de la leur disputer. Même avec la délégation du roi, un gouverneur de province, fût-il héréditaire et prince du sang comme les Condés en Bourgogne, doit s’effacer devant l’intendant ; il n’a pas d’office effectif ; ses emplois publics consistent à faire figure et à recevoir. Du reste, il remplirait mal les autres : la machine administrative, avec ses milliers de rouages durs, grinçants et sales, telle que Richelieu et Louis XIV l’ont faite, ne peut fonctionner qu’aux mains d’ouvriers congédiables à volonté, sans scrupules et prompts à tout plier sous la raison d’État ; impossible de se commettre avec ces drôles. Il s’abstient, leur abandonne les affaires. Désœuvré, amoindri, que ferait-il maintenant sur son domaine où il ne règne plus et où il s’ennuie ? Il vient à la ville, surtout à la cour. — D’ailleurs il n’y a plus de carrière que par cette issue : pour parvenir, on est tenu d’être courtisan. Le roi le veut, il faut que vous soyez de son salon pour obtenir ses grâces ; sinon, à la première demande, il répondra : « Qui est-ce ? C’est un homme que je ne vois

    d’hui par les poux… Trois ou quatre coups de pied ou de bâton ne nuisent pas tant à la famille d’un pauvre homme, ni à lui-même, que six rôles d’écritures qui le dévorent. » — « La noblesse, disait déjà Saint-Simon, est devenue un autre peuple qui n’a d’autre choix que de croupir dans une mortelle et ruineuse oisiveté qui la rend à charge et méprisée, ou d’aller se faire tuer à la guerre à travers les insultes des commis, des secrétaires d’État et des secrétaires des intendants. » Voilà les réclamations des âmes féodales. — Tous les détails qui suivent sont tirés de Saint-Simon, Dangeau, Luynes, Argenson et autres historiens de la cour.