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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ

III

Le spectacle est plus triste encore lorsque, des terres où les seigneurs résident, on passe aux terres où les seigneurs ne résident pas. Nobles ou anoblis, ecclésiastiques et laïques, ceux-ci sont privilégiés entre les privilégiés et forment une aristocratie dans une aristocratie. Presque toutes les familles puissantes et accréditées en sont[1], quelle que soit leur origine et leur date. Par leur résidence habituelle ou fréquente au centre, par leurs alliances ou leurs visites mutuelles, par leurs mœurs et leur luxe, par l’influence qu’ils exercent et les inimitiés qu’ils soulèvent, ils forment un groupe à part, et ce sont eux qui ont les plus vastes terres, les premières suzerainetés, les plus larges et les plus complètes juridictions. Noblesse de cour et haut clergé, ils sont peut-être un millier dans chaque ordre, et leur petit nombre ne fait que mettre en plus haut relief l’énormité de leurs avantages. On a vu que les apanages des princes du sang comprennent un septième du terri-

  1. Bouillé, Mémoires, 50. — Chérin, Abrégé chronologique des édits (1788). « De cette multitude innombrable qui compose l’ordre des privilégiés, à peine un vingtième peut-il prétendre véritablement à la noblesse immémoriale et d’ancienne date. » — 4 070 charges de finances, administration, judicature, conféraient la noblesse. — Turgot, Collection des Économistes, II, 276. « Au moyen de la facilité qu’on a d’acquérir la noblesse à prix d’argent, il n’est aucun homme riche qui, sur-le-champ, ne devienne noble. » — Marquis d’Argenson, Mémoires, III, 402.