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L’ANCIEN RÉGIME


régime féodal transformé par la monarchie. Autour du château je vois les sympathies baisser, l’envie s’élever, les haines se grossir. Écarté des affaires, affranchi de l’impôt, le seigneur reste isolé, étranger parmi ses vassaux ; son autorité anéantie et ses privilèges conservés lui font une vie à part. Quand il en sort, c’est pour ajouter forcément à la misère publique. Sur ce sol ruiné par le fisc, il vient prendre une part du produit, tant de gerbes de blé, tant de cuvées de vin. Ses pigeons et son gibier mangent la récolte. Il faut aller moudre à son moulin et lui laisser un seizième de la farine. Un champ vendu six cents livres met cent livres dans sa poche. L’héritage du frère n’arrive au frère que rogné par lui d’une année de revenu. Vingt autres redevances, jadis d’utilité publique, ne servent plus qu’à nourrir un particulier inutile. — Le paysan, tel alors que nous le voyons aujourd’hui, âpre au gain, décidé et habitué à tout souffrir et tout faire pour épargner ou gagner un écu, finit par jeter en dessous des regards de colère sur la tourelle qui garde les archives, le terrier, les détestables parchemins, en vertu desquels un homme d’une autre espèce, avantagé au détriment de tous, créancier universel, et payé pour ne rien faire, tond sur toutes les terres et sur tous les produits. Vienne une occasion qui mette le feu à toutes ces convoitises : le terrier brûlera, avec lui la tourelle, et, avec la tourelle, le château.