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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


société, les visites chez le gouverneur et l’intendant : il faut être Allemand ou Anglais pour passer les mois tristes et pluvieux dans son castel ou dans sa ferme, seul, en compagnie de rustres, au risque de devenir aussi emprunté et aussi hétéroclite qu’eux[1]. Par suite, ils s’endettent, ils s’obèrent, ils vendent un morceau de leur terre, puis un autre morceau : beaucoup ont tout aliéné, sauf leur petit manoir et les droits seigneuriaux, cens, lods et ventes, droit de chasse et de justice sur le territoire dont jadis ils étaient les propriétaires[2]. Puisqu’ils vivent de ces droits, il faut bien qu’ils les exercent, même quand le droit est lourd, même quand le débiteur est pauvre. Comment lui remettraient-ils la redevance en grains et en vin, quand elle est pour eux le pain et le vin de l’année ? Comment le dispenser du quint et du requint, quand c’est le seul argent qu’ils perçoivent ? Comment, étant besogneux, ne seraient-ils pas exigeants ? — Les voilà donc, vis-à-vis du paysan, à l’état de simples créanciers ; c’est à cela qu’aboutit le

  1. Mme d’Oberkirch, Mémoires, I, 595.
  2. Bouillé, Mémoires, 50. Selon lui, toutes les vieilles familles nobles, « sauf deux ou trois cents au plus, étaient ruinées. La plus grande partie des grandes terres titrées étaient devenues l’apanage des financiers, des négociants et de leurs descendants. Les fiefs, pour la plupart, étaient entre les mains des bourgeois des villes ». — Léonce de Lavergne, Économie rurale en France, 26. « La plupart végétaient pauvrement dans de petits fiefs de campagne qui ne valaient pas souvent plus de 2 000 ou 3 000 francs de rente. » — Dans la répartition de l’indemnité, en 1825, plusieurs reçoivent moins de 1 000 francs. Le plus grand nombre des indemnités ne dépasse pas 50 000 francs. — « Le trône, disait Mirabeau, n’est entouré que de nobles ruinés. »