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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


En Limousin, dit un intendant au commencement du siècle, sur plusieurs milliers, il n’y en a pas quinze qui aient vingt mille livres de rente. En Berry, vers 1754, les trois quarts meurent de faim ». En Franche-Comté, la confrérie dont nous parlions tout à l’heure est un spectacle comique : « après la messe, ils s’en retournent chacun chez eux, les uns à pied, les autres sur leurs Rossinantes ». En Bretagne, « il y a un tas de gentilshommes rats de cave, dans les fermes, dans les plus vils emplois ». Un M. de la Morandais s’est fait régisseur d’une terre. Telle famille a pour tout bien une métairie « qui n’atteste sa noblesse que par un colombier ; elle vit à la paysanne et mange du pain bis ». Un autre gentilhomme veuf passe ses jours à boire, vit dans le désordre avec ses servantes, et met les plus beaux titres de sa maison à couvrir des pots de beurre ». « Tous les chevaliers de Chateaubriand, dit le père, ont été des ivrognes et des fouetteurs de lièvres. » Lui-même vivote tristement et pauvrement, avec cinq serviteurs, un chien de chasse et deux vieilles juments, « dans un château qui aurait tenu cent seigneurs et leur suite ». Çà et là, dans les Mémoires, on voit passer quelques-unes de ces étranges figures surannées, par exemple, en Bourgogne, « des gentilshommes chasseurs, en guêtres, en souliers ferrés, portant sous le bras une vieille épée rouillée, mourant de faim et refusant de travailler[1] » ; ailleurs, « M. de Pérignan, en habit, perruque et figure

  1. La vie de mon père, par Rétif de la Bretonne, I, 146.