Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
L’ANCIEN RÉGIME

Moins indépendant et moins âpre, le gouvernement paternel subsiste ailleurs, sinon dans la loi, du moins dans les mœurs. En Bretagne, près de Tréguier et de Lannion, dit le bailli de Mirabeau[1], « tout l’état-major de la garde-côte est composé de gens de qualité et de races de mille ans. Je n’en ai pas encore vu un s’échauffer contre un soldat-paysan, et j’ai vu en même temps un air de respect filial de la part de ces derniers… C’est le paradis terrestre pour les mœurs, la simplicité, la vraie grandeur patriarcale : des paysans dont l’attitude devant les seigneurs est celle d’un fils tendre devant son père, des seigneurs qui ne parlent à ces paysans dans leur langage grossier et rude que d’un air bon et riant ; on voit un amour réciproque entre les maîtres et les serviteurs ». — Plus au sud, dans le Bocage, pays tout agricole et sans routes, où les dames voyagent à cheval et dans des voitures à bœufs, où le seigneur n’a pas de fermiers, mais vingt-cinq à trente petits métayers avec lesquels il partage, la primauté des grands ne fait point de peine aux petits. On vit bien ensemble, quand on vit ensemble depuis la naissance jusqu’à la mort, familièrement, avec les mêmes intérêts, les mêmes occupations et les mêmes plaisirs : tels des soldats avec leurs officiers, en campagne, sous la tente, subordonnés quoique camarades, sans que la familiarité nuise au respect. « Le seigneur les visite souvent dans leurs métairies,

  1. Lettre du bailli de Mirabeau, 1760, publiée par M. de Loménie dans le Correspondant, t. XLIX, 132.