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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


naturel des hommes », jusque contre les ministres et contre le roi. Des gardes du tabac ayant fait une descente chez son curé, il les poursuivit à cheval si rudement qu’ils se sauvèrent à grand’peine en guéant la Durance, et là-dessus « il écrivit pour demander la révocation de tous les chefs, assurant que sans cela tous les employés des aides iraient dans le Rhône ou dans la mer ; il y en eut de révoqués, et le directeur du tripot vint lui-même lui faire satisfaction ». Voyant son canton stérile et ses colons paresseux, il les enrégimente, hommes, femmes, enfants, et, par les plus mauvais temps, lui-même à leur tête, avec ses vingt-sept blessures, le col soutenu par une pièce d’argent, il les fait travailler en les payant, défricher des terres qu’il leur donne à bail pour cent ans, enclore d’énormes murs et planter d’oliviers une montagne de roches. Nul n’eût pu, sous aucun prétexte, se dispenser de travailler qu’il ne fût malade, et en ce cas secouru, ou occupé à travailler sur son propre bien, article sur lequel mon père ne se laissait pas tromper, et nul ne l’eût osé. » Ce sont là les derniers troncs de la vieille souche, noueux, sauvages, mais capables de fournir des abris. On en trouverait encore quelques-uns dans les cantons reculés, en Bretagne, en Auvergne, vrais commandants de district, et je suis sûr qu’au besoin leurs paysans les suivront autant par respect que par crainte. La force du cœur et du corps donne l’ascendant qu’elle justifie, et la surabondance de sève, qui commence par des violences, finit par des bienfaits.