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L’ANCIEN RÉGIME


vents et de grands hôtels seigneuriaux, quelques marchands pour les objets indispensables, peu de bourgeoisie, alentour tous les paysans colons ou serfs. Le seigneur prélève une part de tous leurs produits, denrées ou bestiaux, et à leur mort une portion de leur héritage ; s’ils s’en vont, leur bien lui revient. Ses domestiques sont châtiés comme des moujiks, et, dans chaque remise, il y a un chevalet à cet usage, « sans préjudice de peines plus graves », probablement la bastonnade et le reste. Mais « jamais il n’est venu au condamné la moindre idée de réclamation ni d’appel ». Car, si le seigneur les frappe en père de famille, il les protège « en père de famille, il accourt quand il y a un malheur à réparer, il les soigne dans leurs maladies », il leur fournit un asile dans leur vieillesse ; il pourvoit leurs veuves et se réjouit quand ils ont beaucoup d’enfants ; il est en communauté de sympathies avec eux ; ils ne sont ni misérables ni inquiets ; ils savent que, dans tous leurs besoins extrêmes ou imprévus, il sera leur refuge[1]. — Dans les États prussiens, et d’après le code du grand Frédéric, une servitude plus dure encore est compensée par des obligations égales. Sans la permission du seigneur, les paysans ne peuvent aliéner leur champ, l’hypothéquer, le cultiver autrement, changer de métier, se marier. S’ils quittent la seigneurie, il peut les poursuivre en tout lieu et les ramener de force. Il a droit de surveillance sur leur vie

  1. Beugnot, Mémoires, I, 292. — Tocqueville, l’Ancien Régime et la Révolution, 34, 60.