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L’ANCIEN RÉGIME


Moyennant argent, les seigneurs ont permis au paysan économe et tenace d’en arracher beaucoup de pierres. Par contrainte, ils ont souffert que le roi s’en appropriât la portion publique. Reste l’assise primitive, la structure ancienne de la propriété, la terre enchaînée ou épuisée pour le maintien d’un moule social qui s’est dissous, bref un ordre de privilèges et de sujétions dont la cause et l’objet ont disparu[1].

V

Cela ne suffit pas pour que cet ordre soit nuisible ou même inutile. En effet, le chef local qui ne remplit plus son ancien office peut remplir en échange un office nouveau. Institué pour la guerre quand la vie était militante, il peut servir dans la paix quand le régime est pacifique, et l’avantage est grand pour la nation en qui cette transformation s’accomplit ; car, gardant ses chefs, elle est dispensée de l’opération incertaine et redoutable qui consiste à s’en créer d’autres. Rien de plus difficile à fonder que le gouvernement, j’entends le gouvernement stable : il consiste dans le commandement de quelques-uns et dans l’obéissance de tous, chose contre nature. Qu’un homme dans son cabinet, parfois un vieillard débile, dispose des biens et des vies de vingt ou trente millions d’hommes dont la plupart ne l’ont jamais vu ; qu’il leur dise de verser le dixième ou le cinquième de leur revenu et qu’ils le versent ; qu’il

  1. Voir la note 2 à la fin du volume.