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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ.

II

Souvenons-nous toujours de ce qu’ils ont été pour comprendre ce qu’ils sont encore. Si grands que soient leurs avantages, ils ne sont que les débris d’avantages plus grands. Tel évêque ou abbé, tel comte ou duc dont les successeurs font la révérence à Versailles, fut jadis l’égal des Carlovingiens et des premiers Capétiens. Un sire de Montlhéry a tenu en échec le roi Philippe Ier[1]. L’abbé de Saint-Germain-des-Prés a possédé quatre cent trente mille hectares de terre, l’étendue d’un département presque entier. Il ne faut pas s’étonner s’ils sont restés puissants et surtout riches ; rien de plus stable qu’une forme de société. Après huit cents ans, malgré tant de coups de la hache royale et l’immense changement de la culture sociale, la vieille racine féodale dure et végète toujours. On s’en aperçoit d’abord à la distribution de la propriété[2]. Un cinquième du sol est à la couronne et aux communes, un cinquième au tiers état, un cinquième au peuple des campagnes, un cinquième à la noblesse, un cinquième au clergé. Ainsi, si l’on défalque les terres publiques, les

  1. 1. Suger, Vie de Louis VI, chap. viii. — Philippe Ier ne s’était rendu maître du château de Montlhéry qu’en mariant un de ses fils à l’héritière du fief. Il disait à son successeur : « Enfant, sois bien attentif à conserver cette tour dont les vexations m’ont fait vieillir, et dont les fraudes et les trahisons ne m’ont jamais donné paix ni trêve. »
  2. Léonce de Lavergne, les Assemblées provinciales, 19. — Cf. les procès-verbaux imprimés de ces assemblées provinciales, notamment dans les chapitres qui traitent des vingtièmes.