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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ.


de la grande salle ; c’est là qu’il couche avec ses cavaliers, ôtant un éperon quand il a chance de dormir ; les meurtrières laissent à peine entrer le jour ; c’est qu’il s’agit avant tout de ne pas recevoir des flèches. Tous les goûts, tous les sentiments sont subordonnés au service ; il y a tel point de la frontière européenne où l’enfant de quatorze ans est tenu de marcher, où la veuve jusqu’à soixante ans est forcée de se remarier. Des hommes dans les rangs pour combler les vides, des hommes dans les postes pour monter la garde, voilà le cri qui sort à ce moment de toutes les institutions, comme l’appel d’une voix d’airain. — Grâce à ces braves, le paysan[1] est à l’abri ; on ne le tuera plus, on ne l’emmènera plus captif avec sa famille, par troupeaux, la fourche au cou. Il ose labourer, semer, espérer en sa récolte ; en cas de danger, il sait qu’il trouvera un asile pour lui, pour ses grains et pour ses bestiaux, dans l’enclos de palissades au pied de la forteresse. Par degrés, entre le chef militaire du donjon et les anciens colons de la campagne ouverte, la nécessité établit un contrat tacite qui devient une coutume respectée. Ils travaillent pour lui, cultivent ses terres, font ses charrois, lui payent des redevances, tant par maison, tant par tête de bétail, tant pour hériter ou vendre : il faut bien qu’il nourrisse sa troupe. Mais, ces droits acquittés, il a tort, si, par orgueil ou avidité, il leur prend quelque chose de plus. — Quant aux vagabonds, aux misérables qui, dans le désordre et la dévastation

  1. Villanus.