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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


toucher du doigt à l’endroit convenable pour lui faire rendre la réponse qui convient. Jamais de faits ; rien que des abstractions, des enfilades de sentences sur la nature, la raison, le peuple, les tyrans, la liberté, sortes de ballons gonflés et entrechoqués inutilement dans les espaces. Si l’on ne savait pas que tout cela aboutit à des effets pratiques et terribles, on croirait à un jeu de logique, à des exercices d’école, à des parades d’académie, à des combinaisons d’idéologie. En effet, c’est l’idéologie, dernier produit du siècle, qui va donner de l’esprit classique la formule finale et le dernier mot.

III

Suivre en toute recherche, avec toute confiance, sans réserve ni précaution, la méthode des mathématiciens ; extraire, circonscrire, isoler quelques notions très simples et très générales ; puis, abandonnant l’expérience, les comparer, les combiner, et, du composé artificiel ainsi obtenu, déduire par le pur raisonnement toutes les conséquences qu’il enferme : tel est le procédé naturel de l’esprit classique. Il lui est si bien inné, qu’on le rencontre également dans les deux siècles, chez Descartes, Malebranche[1] et les partisans des idées pures,

  1. « Pour atteindre à la vérité, il suffit de se rendre attentif aux idées claires que chacun trouve en lui-même. » (Malebranche, Recherche de la vérité, liv. I, ch. i.) — « Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui