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L’ANCIEN RÉGIME


et le soldat, le clergé et les couvents, la justice et la police, le négoce et le ménage, reste vague ou devient faux ; pour y démêler quelque chose, il me faut recourir à ce merveilleux Voltaire qui, lorsqu’il a mis bas le grand habit classique, a ses coudées franches et dit tout. Sur les organes les plus vitaux de la société, sur les règles et les pratiques qui vont provoquer une révolution, sur les droits féodaux et la justice seigneuriale, sur le recrutement et l’intérieur des monastères, sur les douanes de province, les corporations et les maîtrises, sur la dîme et la corvée[1], la littérature ne m’apprend presque rien. Il semble que pour elle il n’y ait que des salons et des gens de lettres. Le reste est non avenu ; au-dessous de la bonne compagnie qui cause, la France paraît vide. — Quand viendra la Révolution, le retranchement sera plus grand encore. Parcourez les harangues de tribune et de club, les rapports, les motifs de loi, les pamphlets, tant d’écrits inspirés par des événements présents et poignants ; nulle idée de la créature humaine telle qu’on l’a sous les yeux, dans les champs et dans la rue ; on se la figure toujours comme un automate simple, dont le mécanisme est connu. Chez les écrivains, elle était tout à l’heure une serinette à phrases ; pour les politiques, elle est maintenant une serinette à votes, qu’il suffit de

    malheur le travestissement espagnol empêche les romans de Lesage d’être aussi instructifs qu’il le faudrait.

  1. On rencontre de bons détails dans les petits contes de Diderot, par exemple dans les Deux Amis de Bourbonne. Mais ailleurs, notamment dans la Religieuse, il est homme de parti et donne une impression fausse.