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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


bres, Byzantins, ils sont tous la même mécanique à tirades. Et le public ne s’en étonne point ; il n’a pas le sentiment historique ; il admet que l’homme est partout le même ; il fait un succès aux Incas de Marmontel, au Gonzalve et aux Nouvelles de Florian, à tous les paysans, manœuvres, nègres, Brésiliens, Parsis, Malabares, qui viennent lui débiter leurs amplifications. On ne voit dans l’homme qu’une raison raisonnante, la même en tout temps, la même en tout lieu ; Bernardin de Saint-Pierre la prête à son Paria, Diderot à ses Otaïtiens. Il est de principe que naturellement tout esprit humain parle et pense comme un livre. — Aussi quelle insuffisance dans l’histoire ! À part Charles XII, un contemporain que Voltaire ranime grâce aux récits de témoins oculaires, à part les vifs raccourcis, les lestes croquis d’Anglais, de Français, d’Espagnols, d’Italiens, d’Allemands qu’il sème en courant dans ses contes, ici encore où sont les hommes ? Chez Hume, Gibbon, Robertson qui sont de l’école française et tout de suite adoptés en France, dans les recherches de Dubos et de Mably sur notre moyen âge, dans le Louis XI de Duclos, dans l’Anacharsis de Barthélémy, même dans l’Essai sur les mœurs et dans le Siècle de Louis XIV de Voltaire, même dans la Grandeur des Romains, et l’Esprit des Lois de Montesquieu, quelle étrange lacune ! Érudition, critique, bon sens, exposition presque exacte des dogmes et des institutions, vues philosophiques sur l’enchaînement des faits et sur le cours général des choses, il n’y manque rien, si ce n’est des âmes. Il semble, à les lire,