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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


l’individu. Tous ces détails, toutes ces circonstances, tous ces supports et compléments de l’homme sont en dehors du cadre classique. Pour en insérer quelques-uns, il a fallu le génie de Molière, la plénitude de sa conception, la surabondance de son observation, la liberté extrême de sa plume. Encore est-il vrai que souvent il les omet, et que, dans les autres cas, il n’en introduit qu’un petit nombre, parce qu’il évite de donner à des caractères généraux une richesse et une complexité qui embarrasseraient l’action. Plus le thème est simple, et plus le développement est clair ; or, dans toute cette littérature, la première obligation de l’auteur est de développer clairement le thème qu’il s’est choisi.

Il y a donc un défaut originel dans l’esprit classique, défaut qui tient à ses qualités et qui, maintenu d’abord dans une juste mesure, contribue à lui faire produire ses plus purs chefs-d’œuvre, mais qui, selon une règle universelle, va s’aggraver et se tourner en vice par l’effet naturel de l’âge, de l’exercice et du succès. Il était étroit, il va devenir plus étroit. Au dix-huitième siècle, il est impropre à figurer la chose vivante, l’individu réel, tel qu’il existe effectivement dans la nature et dans l’histoire, c’est-à-dire comme un ensemble indéfini, comme un riche réseau, comme un organisme complet de caractères et de particularités superposées, enchevêtrées et coordonnées. La capacité lui manque pour les recevoir et les contenir. Il en écarte le plus qu’il peut, tant qu’enfin il n’en garde qu’un extrait écourté, un résidu évaporé, un nom presque vide, bref ce qu’on