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L’ANCIEN RÉGIME


sance ou imitation, parlent toujours bien, en d’autres termes, des gens du monde. Il n’y en a pas d’autres au théâtre ni ailleurs, depuis Corneille et Racine jusqu’à Marivaux et Beaumarchais. Le pli est si fort, qu’il s’impose jusqu’aux animaux de La Fontaine, jusqu’aux servantes et aux valets de Molière, jusqu’aux Persans de Montesquieu, aux Babyloniens, aux Indiens, aux Micromégas de Voltaire. — Encore faut-il ajouter que ces personnages ne sont réels qu’à demi. Dans un caractère vivant, il y a deux sortes de traits : les premiers, peu nombreux, qui lui sont communs avec tous les individus de sa classe et que tout spectateur ou lecteur peut aisément démêler ; les seconds, très nombreux, qui n’appartiennent qu’à lui et qu’on ne saisit pas sans quelque effort. L’art classique ne s’occupe que des premiers ; de parti pris, il efface, néglige ou subordonne les seconds. Il ne fait pas des individus véritables, mais des caractères généraux, le roi, la reine, le jeune prince, la jeune princesse, le confident, le grand prêtre, le capitaine des gardes, avec quelque passion, habitude ou inclination générale, amour, ambition, fidélité ou perfidie, humeur despotique ou pliante, méchanceté ou bonté native. Quant aux circonstances de temps et de lieu, qui de toutes sont les plus puissantes pour façonner et diversifier l’homme, il les indique à peine ; il en fait abstraction. À vrai dire, dans la tragédie, la scène est partout et en tout siècle, et l’on pourrait affirmer aussi justement qu’elle n’est dans aucun siècle ni nulle part. C’est un palais ou un temple quelconque, où, pour