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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


en mesurer la force et la portée, pour en déterminer les affinités, l’usage et les alliances, et ce travail de précision se poursuit depuis les premiers académiciens, Vaugelas, Chapelain et Conrart, jusqu’à la fin de l’âge classique, par les Synonymes de Beauzée et de Girard, par les Remarques de Duclos, par le Commentaire de Voltaire sur Corneille, par le Lycée de Laharpe[1], par l’effort, l’exemple, la pratique et l’autorité des grands et petits écrivains qui sont tous corrects. Jamais architectes, obligés de n’employer pour bâtir que les pavés de la grande route publique, n’ont si bien connu chacune de leurs pierres, ses dimensions, sa coupe, sa résistance, ses attaches possibles, sa place convenable. — Cela fait, il s’agit de construire avec le moins de peine et le plus de solidité qu’il se pourra, et la grammaire se réforme en même temps et dans le même sens que le dictionnaire. Elle ne permet plus aux mots de se suivre selon l’ordre variable des impressions et des émotions ; elle les dispose régulièrement et rigoureusement selon l’ordre immuable des idées. L’écrivain perd le droit de mettre en tête et en vedette l’objet ou le trait qui le frappe le plus vivement et d’abord : le cadre est fait, les places sont désignées d’avance. Chaque partie du discours a la sienne : défense d’en omettre ou d’en transposer une seule, comme on faisait au seizième siècle[2] ;

  1. Voir dans le Lycée de Laharpe, après l’analyse de chaque pièce, les remarques de détail sur le style.
  2. Omission des pronoms je, il, nous, vous, ils, des articles le, la, les, du verbe et notamment du verbe est. — Quant aux transpositions, il suffit de lire une page de Rabelais, Amyot ou Mon-