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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


Sauf chez La Fontaine, un génie spontané et isolé qui rouvre les sources anciennes, sauf chez La Bruyère, un chercheur hardi qui ouvre une source nouvelle, sauf chez Voltaire, un démon incarné qui, dans ses écrits, anonymes ou pseudonymes, lâche la bride aux violences et à la crudité de sa verve[1], les mots propres tombent en désuétude. Un jour, à l’Académie, Gresset, dans un discours, en osa lâcher cinq ou six[2] : il s’agissait, je crois, de voitures et de coiffures ; des murmures éclatèrent ; pendant sa longue retraite, il était devenu provincial et avait perdu le ton. — Par degrés, on en vient à ne plus composer le discours que « d’expressions générales ». Même, selon le précepte de Buffon, on les emploie pour désigner les choses particulières. Cela est plus conforme à l’urbanité, qui efface, qui atténue, qui évite les accents brusques et familiers, à qui nombre d’idées sembleraient grossières ou triviales, si on ne les enveloppait d’un demi-voile. Cela est plus commode pour l’attention paresseuse ; il n’y a que les termes généraux de la conversation pour réveiller à l’instant les idées courantes et communes ; tout homme les entend par cela seul qu’il est du salon ; au contraire, des termes particuliers demanderaient un effort de mémoire ou d’imagination ; si, à propos des sauvages ou des anciens Francs, je dis « la hache de guerre »,

    Prendre pour exemple deux écrivains du même genre et de second ordre, Charron et Nicole.

  1. Par exemple, l’article Ignorance dans le Dictionnaire philosophique.
  2. Laharpe, Cours de littérature, éd. Didot, II, 142.