Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/325

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
293
L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


une pression si forte, il faut bien que l’esprit prenne le tour oratoire et littéraire, et s’accommode aux exigences, aux convenances, aux goûts, au degré d’attention et d’instruction de son public. De là le moule classique : il est formé par l’habitude de parler, d’écrire et de penser en vue d’un auditoire de salon.

La chose est visible, et du premier coup d’œil, pour la langue et le style. Entre Amyot, Rabelais, Montaigne d’un côté, et Chateaubriand, Victor Hugo, Honoré de Balzac de l’autre, naît et finit le français classique. Dès l’origine il a son nom : c’est la langue des honnêtes gens ; il est fait, non seulement pour eux, mais par eux[1], et Vaugelas, leur secrétaire, ne s’applique pendant trente ans qu’à enregistrer les décisions « du bon usage ». C’est pourquoi, dans toutes ses parties, vocabulaire et grammaire, la langue se réforme et se reforme sur le modèle de leur esprit, qui est l’esprit régnant. — En premier lieu, le vocabulaire s’allège. On exclut du discours la plupart des mots qui servent à l’érudition spéciale et à l’expérience technique, les expressions trop latines ou trop grecques, les termes propres d’école, de science, de métier, de ménage, tout

    Française, nous regardions les membres de celle des Sciences comme nos valets ». — Ces valets étaient alors Lavoisier, Fourcroy, Lagrange, Laplace, etc. (Récit du comte Joseph de Maistre cité par Sainte-Beuve, Causeries du lundi, IV, 283.)

  1. Vaugelas, Remarques sur la langue française : « C’est la façon de parler de la plus saine partie de la cour conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps… Il vaut mieux consulter les femmes et ceux qui n’ont point étudié que ceux qui sont bien savants en la langue grecque et en la latine. »