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L’ANCIEN RÉGIME

« Les vrais honnêtes gens, dit Nicole d’après Pascal, ne veulent point d’enseigne. On ne les devine point, ils parleront des choses dont on parlait quand ils sont entrés. Ils ne sont point appelés poètes ni géomètres, mais ils jugent de tous ceux-là[1]. » — Au dix-huitième siècle, leur autorité est souveraine. Dans la grande foule composée « d’imbéciles » et parsemée de cuistres, il y a, dit Voltaire, « un petit troupeau séparé qu’on appelle la bonne compagnie ; ce petit troupeau, étant riche, bien élevé, instruit, poli, est comme la fleur du genre humain ; c’est pour lui que les plus grands hommes ont travaillé ; c’est lui qui donne la réputation[2] ». L’admiration, la faveur, l’importance appartiennent, non à ceux qui en sont dignes, mais à ceux qui s’adressent à lui. « En 1789, disait l’abbé Maury, l’Académie française était seule considérée en France et donnait réellement un état. Celle des Sciences ne signifiait rien dans l’opinion, non plus que celle des Inscriptions… Les langues sont la science des sots. D’Alembert avait honte d’être de l’Académie des Sciences. Un mathématicien, un chimiste, etc., ne sont entendus que par une poignée de gens ; le littérateur, l’orateur s’adressent à l’univers[3]. » — Sous

    cien Fréret, Bréquigny, le président Bouhier, à Dijon, bref les vrais érudits, restent sans influence.

  1. Nicole, Œuvres morales, second traité de la charité et de l’amour-propre, 142.
  2. Voltaire, Dialogues, L’intendant des menus et l’abbé Grizel, 129.
  3. Maury ajoutait avec sa brutalité habituelle : « À l’Académie