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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


de ses pensées[1] ». En effet, d’un bout à l’autre de sa philosophie, pour toute préparation il ne demande à ses lecteurs que « le bon sens naturel », joint à cette provision d’expérience courante que donne la pratique du monde. — Comme ils sont l’auditoire, ils sont les juges. « C’est le goût de la cour qu’il faut étudier, dit Molière[2] ; il n’y a point de lieu où les décisions soient si justes… Du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s’y fait une manière d’esprit qui, sans comparaison, juge plus finement les choses que tout le savoir enrouillé des pédants. » — À partir de ce moment, on peut dire que l’arbitre de la vérité et du goût n’est plus, comme auparavant, l’érudit, Scaliger par exemple, mais l’homme du monde, un La Rochefoucauld, un Tréville[3]. Le pédant, et à sa suite le savant, l’homme spécial est écarté.

  1. Descartes, éd. Cousin, t. XI, 333. 340 ; I, 121. Descartes déprime « les simples connaissances qui s’acquièrent sans le secours du raisonnement, telles que les langues, l’histoire, la géographie, et en général tout ce qui ne dépend que de l’expérience… Il n’est pas plus du devoir d’un honnête homme de savoir le grec et le latin que le langage suisse et le bas-breton, ni l’histoire de l’empire romano-germanique que celle du plus petit État qui se trouve en Europe ».
  2. Molière, les Femmes savantes et la Critique de l’École des femmes. Rôles de Dorante en face de Lysidas et de Clitandre en face de Trissotin.
  3. Le docte Huet (1630-1721), qui en était resté au goût du seizième siècle, décrit ce changement très bien et à son point de vue. « Quand, je suis entré dans le monde des lettres, elles étaient encore florissantes ; de grands personnages en soutenaient la gloire. J’ai vu les lettres décliner et tomber enfin dans une décadence presque entière. Car je ne connais presque personne aujourd’hui qu’on puisse véritablement appeler savant. » — Du Cange, quelques bénédictins comme Mabillon, plus tard l’académi-