cents ans et davantage, il y avait travaillé comme architecte
et comme manœuvre, d’abord seul, puis presque
seul. — Au commencement, pendant les quatre premiers
siècles, il avait fait la religion et l’Église : pesons
ces deux mots pour en sentir tout le poids. D’une part,
dans un monde fondé sur la conquête, dur et froid
comme une machine d’airain, condamné par sa structure
même à détruire chez ses sujets le courage d’agir et
l’envie de vivre, il avait annoncé « la bonne nouvelle »,
promis « le royaume de Dieu », prêché la résignation
tendre aux mains du Père céleste, inspiré la patience, la
douceur, l’humilité, l’abnégation, la charité, ouvert
les seules issues par lesquelles l’homme étouffé dans
l’ergastule romain pouvait encore respirer et apercevoir
le jour : voilà la religion. D’autre part, dans un État
qui peu à peu se dépeuplait, se dissolvait et fatalement
devenait une proie, il avait formé une société vivante,
guidée par une discipline et des lois, ralliée autour d’un
but et d’une doctrine, soutenue par le dévouement des
chefs et l’obéissance des fidèles, seule capable de subsister
sous le flot de barbares que l’Empire en ruine
laissait entrer par toutes ses brèches : voilà l’Église. —
Sur ces deux premières fondations, il continue à bâtir,
et, à partir de l’invasion, pendant plus de cinq cents
ans, il sauve ce qu’on peut encore sauver de la culture
humaine. Il va au-devant des barbares, ou les gagne
aussitôt après leur entrée ; service énorme ; jugeons-en
par un seul fait : dans la Grande-Bretagne, devenue
latine comme la Gaule, mais dont les conquérants
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L’ANCIEN RÉGIME