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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


croissement du bon sens que leurs découvertes vulgarisées déposent lentement dans l’esprit humain.

Reste un second principe à poser pour achever la fondation de l’histoire. Découvert par Montesquieu, aujourd’hui encore il nous sert d’appui pour construire, et, si nous devons reprendre en sous-œuvre l’édifice du maître, c’est seulement parce que l’érudition accrue a mis entre nos mains des matériaux plus solides et plus nombreux. Dans une société humaine, toutes les parties se tiennent ; on n’en peut altérer une sans introduire par contre-coup dans les autres une altération proportionnée. Les institutions, les lois, les mœurs n’y sont point juxtaposées comme dans un amas, par hasard ou caprice, mais liées entre elles, par convenance ou nécessité, comme dans un concert[1]. Selon que l’autorité est aux mains de tous, ou de plusieurs, ou d’un seul, selon que le prince admet ou n’admet pas au-dessus de lui des lois fixes et au-dessous de lui des pouvoirs intermédiaires, tout diffère ou tend à différer dans un sens prévu et d’une quantité constante, l’esprit public, l’éducation, la forme des jugements, la nature et le degré des peines, la condition des femmes, l’institution militaire, la nature et la grandeur de l’impôt. Du grand

  1. Esprit des Lois, préface : « J’ai d’abord examiné les hommes et j’ai cru que, dans cette infinie diversité de lois et de mœurs, ils n’étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies. J’ai posé les principes et j’ai vu les cas particuliers s’y plier comme d’eux-mêmes, les histoires de toutes les nations n’en être que les suites, et chaque loi particulière liée à une autre loi ou dépendre d’une autre plus générale. »