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L’ANCIEN RÉGIME


milieu de tant de saccagements et de destruction, nous voyons un amour de l’ordre qui anime en secret le genre humain et qui a prévenu sa ruine totale. C’est un des ressorts de la nature qui reprend toujours sa force ; c’est lui qui a formé le code des nations, c’est par lui qu’on révère la loi et les ministres de la loi dans le Tunquin et dans l’île Formose comme à Rome. » Ainsi il y a dans l’homme « un principe de raison », c’est-à-dire un « instinct de mécanique » qui lui suggère les idées utiles[1], et un instinct de justice qui lui suggère les idées morales. Ces deux instincts font partie de sa constitution ; il les a de naissance, « comme les oiseaux ont leurs plumes, et comme les ours ont leur fourrure ». C’est pourquoi il est perfectible par nature et ne fait que se conformer à la nature lorsqu’il améliore son esprit et sa condition. Le sauvage, « le Brasilien est un animal qui n’a pas encore atteint le complément de son espèce ; c’est une chenille enfermée dans sa fève et qui ne sera papillon que dans quelques siècles ». Poussez plus loin cette idée avec Turgot et Condorcet[2], et, à travers des exagérations, vous verrez naître, avant la fin du siècle, notre théorie moderne du progrès, celle qui fonde toutes nos espérances sur l’avancement indéfini des sciences, sur l’accroissement du bien-être que leurs découvertes appliquées apportent incessamment dans la condition humaine, et, sur l’ac-

  1. Franklin définissait l’homme : « un animal qui fait des outils ».
  2. Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain.