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L’ANCIEN RÉGIME


tranche et retranche légèrement, trop vite, avec excès, surtout lorsqu’il s’agit des anciens, parce que son expédition historique n’est qu’un voyage de reconnaissance, mais avec un coup d’œil si juste que, de sa carte sommaire, nous pouvons garder presque tous les contours. L’homme primitif ne fut point un être supérieur, éclairé d’en haut, mais un sauvage grossier, nu, misérable, lent dans sa croissance, tardif dans son progrès, le plus dépourvu et le plus nécessiteux de tous les animaux, à cause de cela sociable, né comme l’abeille et le castor avec l’instinct de vivre en troupe, outre cela imitateur comme le singe, mais plus intelligent, capable de passer par degrés du langage des gestes au langage articulé, ayant commencé par un idiome de monosyllabes, qui peu à peu s’est enrichi, précisé et nuancé[1]. Que de siècles pour atteindre à ce premier langage ! Combien d’autres siècles ensuite pour l’invention des arts les plus nécessaires, pour l’usage du feu, la fabrication des « haches de silex et de jade », la fonte et l’affinage des métaux, la domestication des animaux, l’élevage et l’amélioration des plantes comestibles, pour l’établissement des premières sociétés policées et durables, pour la découverte de l’écriture, des chiffres, des périodes

  1. Traité de métaphysique, chap. i. « Descendu sur ce petit amas de boue et n’ayant pas plus de notion de l’homme que l’homme n’en a des habitants de Mars et de Jupiter, je débarque sur les côtes de l’océan dans le pays de la Cafrerie, et d’abord je me mets à chercher un homme. Je vois des singes, des éléphants et des nègres qui me semblent tous avoir quelque lueur d’une raison imparfaite, etc. » — On voit ici très nettement et en exercice la méthode nouvelle.