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L’ANCIEN RÉGIME


lois pour les nombres, les figures et les mouvements, pour la révolution des planètes et la chute des corps, pour la propagation de la lumière et le rayonnement de la chaleur, pour les attractions et les répulsions de l’électricité, pour les combinaisons chimiques, pour la naissance, l’équilibre et la dissolution du corps organisé. Il y en a pour la naissance, le maintien et le développement des sociétés humaines, pour la formation, le conflit et la direction des idées, des passions et des volontés de l’individu humain[1]. En tout ceci l’homme continue la nature ; d’où il suit que, pour le connaître, il faut l’observer en elle, après elle, et comme elle, avec la même indépendance, les mêmes précautions et le même esprit. — Par cette seule remarque, la méthode des sciences morales est fixée. En histoire, en psychologie, en morale, en politique, les penseurs du siècle précédent, Pascal, Bossuet, Descartes, Fénelon, Malebranche, La Bruyère, partaient encore du dogme ; pour quiconque sait les lire, il est clair que d’avance leur siège était fait. La religion leur fournissait une théorie achevée du monde moral ; d’après cette théorie latente ou expresse, ils décrivaient l’homme et accommodaient leurs observations au type préconçu. Les écrivains du dix-huitième siècle renversent ce procédé : c’est de l’homme qu’ils partent, de l’homme observable et de ses alentours ; à leurs yeux, les conclusions sur l’âme, sur son origine, sur sa destinée, ne doivent venir

  1. Voltaire, Philosophie, Du principe d’action : « Que tous les êtres, sans exception, sont soumis à des lois invariables. »