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L’ESPRIT ET LA DOCTRINES

II

Car supposez un esprit tout pénétré des vérités nouvelles ; mettez-le spectateur sur l’orbite de Saturne et qu’il regarde[1]. Au milieu de ces effroyables espaces et de ces millions d’archipels solaires, quel petit canton que le nôtre et quel grain de sable que la terre ! Quelle multitude de mondes au delà de nous, et, si la vie s’y rencontre, que de combinaisons possibles autres que celles dont nous sommes l’effet ! Qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que la substance organisée, dans ce monstrueux univers, sinon une quantité négligeable, un accident passager, une moisissure de quelques grains de l’épiderme ? Et, si telle est la vie, qu’est-ce que l’humanité qui en est un si mince fragment ? — Tel est l’homme dans la nature, un atome, un éphémère ; n’oublions pas cela dans les systèmes que nous faisons sur son origine, sur son importance, sur sa destinée. Une mite serait grotesque, si elle se considérait comme le centre des choses, et il ne faut pas « qu’un insecte presque infiniment petit montre un orgueil presque infiniment grand[2] ». — Sur ce globe lui-même, combien son

  1. Pour l’exposition populaire de ces idées, voir Voltaire, passim, surtout Micromégas et les Oreilles du comte de Chesterfield.
  2. Cf. Buffon, ibid., I, 31 : « Ceux qui croient répondre par les causes finales ne font pas attention qu’ils prennent l’effet pour la cause. Le rapport que les choses ont avec nous n’influant point du tout sur leur origine, la convenance morale ne peut jamais être une raison physique. » — Voltaire, Candide : Quand Sa Hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s’embarrasse-