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L’ANCIEN RÉGIME


d’une analyse délicate pour isoler et décomposer le poison. Il y en a un dans la philosophie du dix-huitième siècle, et d’espèce étrange autant que puissante : car, non seulement il est l’œuvre d’une longue élaboration historique, l’extrait définitif et condensé auquel aboutit toute la pensée du siècle ; mais encore ses deux principaux ingrédients ont cela de particulier qu’étant séparés ils sont salutaires et qu’étant combinés ils font un composé vénéneux.

I

Le premier est l’acquis scientifique, celui-ci excellent de tous points et bienfaisant par sa nature ; il se compose d’un amas de vérités lentement préparées, puis assemblées tout d’un coup ou coup sur coup. Pour la première fois dans l’histoire, les sciences s’étendent et s’affermissent au point de fournir, non plus comme autrefois, sous Galilée ou Descartes, des fragments de construction ou quelque échafaudage provisoire, mais un système du monde définitif et prouvé : c’est celui de Newton[1]. Autour de cette vérité capitale se rangent comme compléments ou prolongements presque toutes les découvertes du siècle : — Dans les mathématiques pures, le calcul de l’infini inventé en même temps par Leibnitz et Newton, la mécanique ramenée par d’Alembert à un seul théorème, et cet ensemble magnifique de théories qui, élaborées par les Bernoulli, par Euler,

  1. Philosophiæ naturalis principia, 1687 ; Optique, 1704.